Dys, Haut-potentiel et pédagogie de l’erreur

L’erreur, pour J-P Astolfi* est « un outil pour enseigner », mais cet outil est-il performant pour tous les élèves d’une même classe de collège ? Il est nécessaire que les enfants souffrant de dyslexie bénéficient d’aménagements pour pallier leur handicap ; d’autre part, les enseignants et les chercheurs s’accordent pour dire que les enfants à haut potentiel n’abordent pas les apprentissages comme tous les autres.

Quel rapport particulier les enfants dyslexiques et les enfants à haut potentiel entretiennent-ils avec cette pédagogie ? Nous verrons ensuite si ces élèves à la marge de l’hétérogénéité des classes peuvent montrer des réactions comparables face à la notion d’erreur.

Des particularités dans le rapport à l’erreur

les enfants dyslexiques

Les enfants dyslexiques ont, eux, l’habitude de l’erreur : rien de ce qu’ils écrivent, ou lisent, ou apprennent n’est jamais parfait. Ils ne travaillent pas pour la meilleure note mais pour limiter les dégâts ; ils n’apprennent pas pour tout retenir et fonder des savoirs culturels mais pour répondre à l’enseignant, connaissant leur risque d’oublier la majorité de ce qu’un labeur plus pénible que celui des autres a mal fixé dans leur tête. Dans ce contexte, ils comprennent l’importance d’une didactique fondée sur l’erreur mieux que d’autres : ils n’ont jamais su réussir autrement. Leur relation à l’enseignement, depuis le CP, n’est qu’une longue suite d’imperfections et de répétitions, de relectures ciblées, de déperdition d’attention dans un domaine quand ils en améliorent un autre. Cela ne signifie pas qu’on puisse se limiter avec eux à une pédagogie de l’erreur sans veiller à leur équilibre : les élèves dyslexiques qui réussissent quand même à progresser scolairement risquent de saturer. Le jeune s’arrête de travailler, veut prouver son autonomie ; l’adolescent refuse les stratégies parentales et les heures de travail toujours nécessaires… Les erreurs envahissent alors tellement les travaux qu’il n’est plus possible d’en tirer quoi que ce soit de pédagogique. Et les dyslexiques de s’enfoncer dans une dévalorisation forte de leur image scolaire, de passer du « jamais tout juste » au refus de toute trace écrite, de toute tentative de lecture ou d’apprentissage. Plus tôt que pour beaucoup, la pédagogie de l’erreur les a fait mûrir et progresser, et c’est alors d’orientation, de métier dont ils ont besoin d’entendre parler pour regrouper leurs forces vers un avenir réel autre que ce monde artificiel du collège qui ne rassure que celles et ceux qui réussissent.

les enfants à haut potentiel

Cette réaction de refus, cette dévalorisation forte, cette perte de l’estime de soi peut toucher aussi sûrement les enfants à haut potentiel. Certains d’entre eux sont sous-réalisateurs, c’est à dire qu’ils écrivent et parlent peu, et que leur mémoire parfois hors-norme ne s’encombre pas de ce que nous voudrions leur faire stocker. Dans ce cas de figure, toute évaluation, tout travail que nous leur soumettons est jaugé et se retrouve recalé, considéré comme inutile. L’enfant est en souffrance : il ne comprend pas pourquoi on lui demande d’adopter cette démarche de pédagogie de l’erreur. Lorsqu’il a, lors des devoirs précédents, rendu un travail et qu’il a vu qu’il devait recommencer, corriger, développer… il est souvent tombé des nues : il fait un effort (alors qu’il ne maîtrise pas les aboutissant implicites et scolaires de l’enseignant) et on lui montre que ce n’est pas bien (ratures, parties soulignées, passages à développer) et que le travail continue. Mais l’effort fait était déjà considérable, et continuer constitue une réelle souffrance. Dans ce cas de figure, la pédagogie de l’erreur joue comme un fusil à un seul coup, et ce n’est que l’erreur de l’enseignant qu’elle met en valeur. A se demander si les EHP sous-réalisateurs ne le sont pas devenus, pour celles et ceux qui gardent une estime d’eux assez élevée, à force de didactique basée sur l’erreur. Le début d’année doit nous renseigner sur la relation au travail de ces élèves, et il s’agit ensuite de s’adapter, d’accepter que la répétition, l’amélioration ne fonctionnent pas avec certains élèves… et que donc la pédagogie de l’erreur peut être vaine et même néfaste : on perd les écrits des élèves échaudés par cette démarche que certains enfants à haut potentiel, à l’opposé des enfants dyslexiques, n’ont jamais utilisée naturellement – elle est de surcroît considérée comme couteuse en temps, inutile, source de contrainte pour l’élève. Des moyens de contournement individuels (alliés à une connaissance de leurs mécanismes de travail, de leurs centres d’intérêt) sont alors nécessaires.

Les enfants à haut potentiels qui sont performants par habitude en début de collège ne présentent pas les mêmes réactions. On peut dire qu’ils sont adaptés aux exigences scolaires et qu’ils ont intégré qu’ils ne courent pas trop de risques à suivre les démarches des enseignants, ce qui ne les empêche parfois pas de rejoindre le groupe de celles et ceux dont il est question plus haut : un regard sans bienveillance ou soupçonneux, une suite de devoirs qui finit par leur devenir insupportable à force d’avancées minuscules et frustrantes (celles-là même qui rassurent les enfants dyslexiques) et les voilà de moins en moins producteurs et réalisateurs…

Cela me pousse à l’hypothèse suivante : la pédagogie de l’erreur, dans le cas d’EHP adaptés n’a que peu d’impact positif. Certains jouent le jeu… ne font que jouer le jeu, mais qu’y gagnent-ils ? L’enseignant se sent certes rassuré et peut penser qu’il fait bonne route… mais une fois que l’enfant à haut potentiel a compris la démarche, il a peut-être fait l’essentiel du travail qui lui permettra de progresser. Répéter cette démarche dans toutes les situations lui conviendra certainement moins qu’une suite de tâches complexes à résoudre, et tant pis si chaque résolution n’est que partielle : il doit se nourrir d’ensembles et non de détails. Pour ces élèves, donc, il paraît préférable de se limiter à quelques exercices basés sur la pédagogie de l’erreur en verbalisant les objectifs (si possible sans la classe qui s’endort devant toutes nos maladroites justifications pédagogiques) puis de leur proposer d’autres démarches quand ils le demandent (puisque nous l’avons proposé, il ne s’agit pas pour eux de dicter les actions de l’enseignant…). Ainsi ils auront intégré le sens de cette pédagogie, ce qui est important, ils auront essayé comme les autres, ils auront compris aussi que l’enseignant est à leur écoute, puis ils pourront passer à d’autres démarches qui leur sont plus adaptées, entre celles que nous leur proposons et celles qu’ils vont découvrir seuls.

Des réactions comparables

Les enfants dyslexiques et à haut potentiel, lorsqu’ils sont signalés et suivis par les équipes pédagogiques du collège, montrent souvent deux caractéristiques qu’ils partagent malgré la différence de leurs rapports à l’apprentissage :

  • des fragilités (liées aux apprentissages et / ou relationnelles)

  • une souffrance particulière liée à la notation.

des fragilités liées aux apprentissages

La pédagogie de l’erreur risque de déstabiliser ces élèves, tant dans le domaine des apprentissages que, par répercussion, dans le domaine relationnel. Dyslexiques comme EHP doivent chercher à adapter peu ou prou leurs façons de penser, de conceptualiser, de retenir pour parvenir à s’intégrer dans notre système éducatif. Travailler dans une optique de pédagogie de l’erreur semble alors positif puisque les enseignants s’adaptent aux problèmes, difficultés des enfants afin de les aider à progresser – évitant un formatage et un nivellement néfastes à ces deux types d’élèves (voire à tous). Mais lorsque des élèves sont confrontés à une image d’eux négative, la notion même d’erreur les bloque et empêche tout progrès possible : « De toutes façons, même si je travaille beaucoup, je n’arriverai jamais à être bon élève. » Ces élèves constatent vite que leurs devoirs sont davantage maculés de remarques de l’enseignant, que les parties à retravailler sont plus nombreuses et cela dans beaucoup de matières. Les enfants dyslexiques doivent croire qu’ils peuvent réussir, parfois et ce de plus en plus souvent à mesure de leur opiniâtreté. On doit éviter aux enfants à haut potentiel de s’enfermer dans une image de nullité qui les hante.

Les élèves ont tendance à s’enfermer dans l’image que les adultes leur renvoie : « tu es dyslexique, tu as un haut potentiel (et ce n’est facile ni à accepter, ni à assumer, ni à gérer). » Certains prennent alors la pédagogie de l’erreur comme une sanction et non une possibilité de progrès et d’apprentissage. De plus, dans ce contexte, pour peu qu’ils manquent de confiance en eux, de compréhension du monde du collège, de recul concernant les démarches de l’apprentissage, ils fuient la réécriture, les corrections multiples, la pratique du brouillon… tenter de corriger leurs erreurs et risquer de voir qu’ils ne peuvent progresser, c’est au-dessus de leurs forces. Refuser cette pédagogie c’est aussi pour eux garder l’espoir que s’ils voulaient, ils pourraient progresser, mais qu’ils décident de leur propre chef de ne pas faire cet effort.

Pour tenter d’anticiper ces difficultés, il s’agit d’observer la relation de l’élève avec les apprentissages, de verbaliser chaque objectif d’adaptation et de compensation proposé et de réfléchir en équipe sur les retombées de certaines adaptations.

des fragilités liées au comportement

Les enfants qui se sentent exclus ou différents (poids de ce qui est désigné comme un handicap, sentiment d’être « étranger », voire « étrange » au dire d’enfants à haut potentiel – ceux qui se prénomment les « zautres » ou les « zèbres ») sont encore plus exclus par les sentiments d’échec. La pédagogie de l’erreur peut accroitre ce sentiment malgré les objectifs positifs qu’elle contient… l’élève déjà fragile se résigne alors plus facilement que d’autres et cherche son identité dans des rôles d’élève mauvais, voire de leader négatif, rôles qui leur permettent d’exister dans le groupe classe, à défaut de parvenir à faire reconnaître leur spécificité et ses richesses. Des parcours différents peuvent aider, dans ces situations, les élèves à haut potentiel à se reconstruire une image (travailler à un projet d’exposé en dehors du groupe classe à certaines heures, montrer aux autres le résultat de leurs capacités), à condition qu’ils ne soient pas sous-réalisateurs (difficulté forte à pouvoir laisser une trace de leur travail). Quant aux enfants dyslexique, seul un travail construit avec l’enfant, la famille, les partenaires du monde médical et les enseignants de l’équipe pédagogique peut permettre de stopper ces hémorragies d’estime de soi.

Le problème de la notation

La notation a un effet négatif vis à vis de ces élèves dont les notes sont rarement très bonnes relativement aux performances de la classe. Or la pédagogie de l’erreur peut renforcer un sentiment de défiance vis à vis des notes : comment expliquer une note finale très faible à un élève qui a progressé lors d’évaluations formatives basées une pédagogie de l’erreur ? D’un côté on leur montre qu’ils savent faire mieux, de l’autre on évalue souvent ce mieux à quelques points alors que dans la classe, des élèves plus adaptés, plus performants peuvent doubler, voire tripler leur résultat et garder les bénéfices chiffrés de cette didactique lors des évaluations sommatives.

Les élèves à haut potentiel ont vite fait de trouver les incohérences entre les efforts des enseignants à les aider et ce qui s’assimile à un jugement et / ou à une rétribution finale de leurs efforts : une note. Celles-ci sont jugées dans tous les cas, qu’elles soient très faibles (« je suis nul ! ») ou très fortes (« Je ne mérite pas cela, vous m’avez favorisé ! » ; « Si j’avais eu moins de temps et si j’avais dû écrire, mon devoir aurait été nul… »). Même l’explication des barèmes et de ce qui est attendu ne cache pas l’importance négative de la note et l’extension de ses inconvénients à l’erreur, inexorablement, jusqu’à une assimilation définitive en fin de 6ème : « Mon travail est mauvais, ça vaut 2 ou 3, ça ne sert à rien que j’essaye de faire mieux. » Un accompagnement sensé et courageux voudrait qu’on cesse de noter les EIP et les enfants dyslexiques qui souffrent du poids de la notation jusqu’au moment où l’on peut leur attribuer des notes signifiantes, c’est à dire des notes qui ont du sens pour eux (et pour nous!). On imagine qu’une telle démarche sous-entend un travail sur les différences étendu à tous les élèves des classes concernées et qu’il faut se donner du temps, en envisageant la classe de sixième comme une entrée au collège et non comme l’une des 4 marches égales de cette période clé de l’apprentissage – tout progrès dans l’adaptation destinée aux élèves précoces ou dyslexiques étant par ailleurs à recommencer à chaque changement d’équipe pédagogique.

Pascal Duc

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