Cet article est une ébauche, des échanges seraient précieux pour creuser ce sujet qui semble sans fond… sûrement parce qu’il est au coeur de l’éducation, des peurs, des tensions dans beaucoup de familles (et la suite ? les enfants de celles et ceux qui ont lutté avec leurs parents à ce sujet pendant des années… pourront-elle.il.s faire ce qu’elle.il.s veulent ou des lois cadreront-elles l’accès aux jeux, prenant la place de parents déresponsabilisés par l’environnement numérique et la morale populaire et hypocrite de ce qu’il faut ou ne faut pas faire ?)…
Peut-on parler de garçons HP en particulier ? pas seulement, et des jeunes filles sont parfois dans des situations semblables face aux jeux vidéos.
A mon goût les jeux vidéos sont trop considérés comme un problème alors qu’ils sont parfois, en cas d’excès, des conséquences d’un problème plus profond.
Il deviennent problème lorsqu’il y a souffrance et addiction, perte de repères extérieurs et enfermement.
C’est dommage d’enlever les aspects créatifs, la vidange des pulsions de mort et des angoisses, l’activité qui permet à la voix du mental de cesser un peu d’envahir le cerveau des HP que permettent les jeux vidéos.
Les jeux vidéos mettent en exergue le rapport à l’autorité des parents : c’est quotidien, casse-pied et parfait parce qu’en tant que parents, on est obligés de se positionner face au jeune. Les situations de conflit qui en découlent permettent, souvent avec un accompagnement, de résoudre des problèmes plus profonds, ou du moins de les travailler et souvent de les mettre à jour.
J’entends des jeunes me dire : « mes parents râlent avec les jeux en disant que c’est comme si je me droguais, mais si je droguais est-ce qu’ils trouveraient que c’est pareil ? ». Bien entendu, non, mais je leur réponds que lorsque les jeux ne suffiront plus c’est une autre addiction qui risque de les tenter, et travailler sur l’addiction aux jeux permet d’éviter de travailler sur une addiction encore plus grave pour la santé physique et mentale – mais que ne pas travailler c’est nier le risque sous-jacent.
Autoriser et empêcher les jeux vidéos mène souvent au conflit parce que les jeunes ressentent cela comme une inconstance parentale
« hier j’en ai fait 4 heures – en cachette mais c’est un détail – et aujourd’hui alors que je n’en ai fait que 45 minutes au lieu de 30 je suis puni… »
« certains jours (vacances, veilles de weekend, fêtes) je peux m’abrutir pendant des heures au point d’avoir la nausée, et d’autres fois je me fais engueuler au bout de 5 minutes avec les parents qui pètent un câble et me hurlent dessus »
« C’est des vieux, ils n’y comprennent rien alors ils interdisent… mes grands-parents se faisaient gronder quand ils lisaient des livres et on leur disait que ça ne servait à rien, que ce n’était pas pour leur âge – maintenant on doit lire et on ne doit pas jouer ! »
Il y a les réactions avec prise de recul des jeunes qui sont poignantes :
« Quand je joue j’ai l’impression d’exister de façon forte, de jouer un rôle extraordinaire – mon cerveau marche à fond et je me sens moins nul. Quand je m’arrête je suis vidé, j’ai l’impression de n’avoir rien fait de la journée et je me dis que je suis nul d’avoir autant joué… Cette voix qui me dit que je suis nul d’avoir autant jouer, il n’y a qu’une manière de la faire taire : de jouer encore… »
Le mot « jeu » vidéo pose problème à lui seul : interdit-on à son enfant de jouer ? Il cache des situations terribles de violence, de perversion, donc nous, les parents, nous paniquons et voulons protéger. Mais que sait-on de l’impact réel de ces violences ? Servent-elles de catharsis ? d’exutoire ? ou créent-elles des monstres ? Des parents qui ont consommé eux-mêmes beaucoup de jeux vidéos / de pornographie / de cannabis / d’alcool (voire qui en consomment encore) sont effarés de voir leur progéniture en proie à ce qui résonne comme une culpabilité sourde (ou un paradis perdu, broyé par les responsabilités du passage à l’âge adulte) et une honte refoulée… Bref, il y a du travail pour tout le monde…
Difficile pour le jeune de trouver une cohérence (et plus difficile encore d’en donner pour les parents !). La frustration est un problème majeur quand on entend les collègues qui enseignent en maternelle et en primaire, voire au collège et encore au lycée… frustration et HP sont très liés et déclenchent des angoisses, des crises, des paradoxes terribles pour le jeune (et la famille) : pas étonnant alors que les jeux soient au coeur des conflits familiaux et encore plus lorsque des HP sont concerné.e.s.
Au final c’est un jeu souvent perdant-perdant qui s’organise dans les familles : les parents ont honte de leurs réactions (cris / punitions / ruptures / tolérance excessive suivie de sevrages violents) et les enfants / ados aussi (obligé.e.s de mentir, de se cacher / épuisement psychologique et frustration / sentiment fort de culpabilité et de nullité répétée par le mental / pas assez de maturité (préfrontal non mature) pour s’auto-réguler / pas assez d’apprentissage de l’autonomie et de droit réfléchi à l’erreur à l’intérieur d’un cadre).
Comment faire ?
échanger avec les jeunes, parler, écouter, s’intéresser à ce qu’elle.il.s font :
- éviter de tout jeter par ignorance – comment voulez-vous que cela fonctionne, avec des HP de surcroit ?
- en évitant de s’adonner soi-même aux jeux vidéos en cachette et à outrance (si c’est le cas on peut en parler et il est important de chercher pourquoi j’en ai besoin… aider ses enfants c’est d’abord accepter de se faire aider soi au sujet de ses failles, ses addictions, ses frustrations : remuer toute cette boue est très sain, la laisser croupir ne permet jamais d’aider les autres)
- devenir le copain / la copine qui joue avec ses enfants pose d’autres questions sur le rôle des parents (du genre : « on fait encore une partie ou deux mais tu ne le dis pas à maman »… est-ce que c’est un signe rassurant de ce qui permet d’être équilibré quand on est adulte ou le signe inquiétant que papa est un ado blessé qui n’a pas tout résolu ?)
- si on parle d’addiction à nos enfants, croyez-bien qu’ils ont un regard acéré sur toutes nos addictions (alcool, drogue, sexe, médicaments, travail, séries, nourriture…) et qu’un travail en famille pourrait avoir un intérêt bien supérieur à une suite de lois coercitives édictés dans des moments de crise et de perte de contrôle.
pour échanger : un travail sur la communication non violente est presque nécessaire quand on échange avec des ados – jeux sur les mots, blessures par des tournures reçues au premier degré (t’es bête ! tu m’as traité d’animal ?) et blessure des parents par des piques envoyées au 8ème degré – souvent incomprises, ce qui réjouit et désespère l’ado en même temps (de toutes manières les parents ne comprennent rien – comment avoir confiance en soi dans un monde dans lequel les parents ne comprennent rien ?).
cadrer : de la liberté dans un cadre ferme et décidé de commun accord (négocié) avec les ados et les conjoints… c’est long, fastidieux, cela fait surgir des problèmes (tant mieux !) mais c’est nécessaire à l’équilibre… voir pour cela le travail de Jean-Paul Gaillard sur les ados (ne pas s’arrêter aux termes employés : l’analyse est très fine et beaucoup d’enseignant.e.s du secondaire et même du primaire confirment que la soif de justice, d’égalité mêlée au besoin de cadrage mais élaboré de façon respectueuse et conjointe se retrouve chez tous les jeunes… avec du temps, du tact et de l’aide on peut parvenir à établir un dialogue, à cesser d’être violent.e.s avec les jeunes, à les mener vers cette autonomie affective qui prime dans la survie et que l’on néglige tant).
négocier, donc, ce n’est pas donner raison en abandonnant toute autorité, et ce n’est pas non plus imposer par la morale et en brandissant des peurs : il faut du temps et décider souvent de façon ferme d’une règle transitoire en attente de suites de négociation…
Toutes les solutions sont alors évolutives et bonnes à prendre, pour qu’elles soient encore bousculées et retravaillées… : on se rassure en écoutant des professionnel (disons des personnages médiatiques…) qui tranchent : tant d’heures, tant de jours… avec le message implicite du « je sais ce qui est bon pour toi » que j’estime tellement décalé et inacceptable pour les ados (celles et ceux qui réagissent en opposition à ces propos ont tendance à me rassurer… que les parents qui savent déjà ce qui est bon pour eux, notamment le fait de ne pas accepter qu’on leur impose des dogmes sans réflexion me jettent la 1ère pierre…). Méfions-nous du prêt à penser sans tout rejeter sous prétexte qu’il y a le mot « psy » dans les propos : tâtonner c’est vivre, c’est apprendre, c’est devenir adulte… et montrer aux enfants comment faire en les rassurant (sinon ils cherchent dans la violence la clé de l’adultisme ultime : ce fantasme d’un tour de magie qui permettrait de devenir adulte d’un coup, sans plus aucune peur ni aucun doute… être adulte c’est reconnaitre ces peurs et ces doutes, des anxiétés et des erreurs mais sans déprimer et décompenser en permanence parce qu’il y a de la beauté et de l’amour dans cet apprentissage quotidien, dans cette inconstance fondamentale qui mène de la naissance à ce qu’on nomme la mort).
Croire qu’on va trouver une solution à la question du jeu vidéo dans la famille, de l’écran, c’est croire que l’on peut être parfait en tant que parents, ou qu’on peut protéger à 100% nos enfants de ce qui nous a posé problème sans travailler nous-mêmes sur les problèmes en question… Ce qui importe c’est se diriger vers du mieux, du plus équilibré, vers une situation qui évite aux membres de la famille d’être aliénés soit par les jeux, soit par la colère, la culpabilité ou une idée figée de la notion d’adulte / d’ado. Ce qui est parfait c’est que ça bouge, que ce soit mouvant et en question… méfions-nous des réponses (même des miennes, bien sûr : appliquer cela sans y croire et sans accompagnement extérieur, c’est rapidement prouver que c’est n’importe quoi et que des règles de fer ou de la bienveillance laxiste valent mieux que ce travail permanent qui garde un vrai contact entre parents et ados). Le conflit est fertile et signe de vie – il ne doit pas envahir la sphère familiale, c’est certain, mais toute décision en vue d’éviter tout conflit serait préoccupante…