Cinémas fermés, salles de spectacle fermées, théâtres fermés… depuis pas mal de temps et encore pour pas mal de temps.
Inutile de ressasser les éléments pour et contre, juste une question : que fait-on de la catharsis ? Platon met en avant cette purification de l’âme confrontée à un spectacle qui touche les émotions – je vois de la violence, de la trahison, de la haine, de la peur dans les tragédies, et ces émotions se mettent en écho avec mon moi profond et lui permettent de savoir ce que c’est que ressentir ces sentiments sans avoir à les vivre vraiment, et peut-être même que je peux relativiser ma vie, purger mes besoins d’exprimer mes émotions par un effet de transfert. En bref une part de moi qui déteste et peut être violente va tourner ces émotions contre les héros détestables de la pièce de théâtre et je risque moins, ensuite, de les tourner contre mes proches dans la vraie vie.
Il y a à dire des réalités psychologiques de la catharsis – on a cru longtemps que le sport permettait la même transformation positive jusqu’au moment où les ultras ont montré dans certains stades que la violence pouvait se tourner directement contre leur entourage.
La pandémie de COVID-19, par répercussion, interdit cette catharsis vécue dans une démarche théâtrale de tout spectacle – et le cinéma vu chez soi ne permet pas la même opération car nous ne vivons pas en direct des interactions de personnes vivantes ou un spectacle recréant le vivant de façon éphémère dans une exaltation des sens (écran géant, son stéréo enveloppant), il se peut même que le cinéma nourrisse des névroses lorsqu’il est possible à domicile de voir et revoir un film qui parfois prend le dessus sur notre transformation intérieure et la modeler jusqu’à créer des faux-self puissants et terribles.
« Moins de spectacle dit « vivant », moins de catharsis » dit le prof en moi. « Des clients d’autant plus envahis par leurs émotions et leurs sentiments » dit le coach.
Plus que jamais c’est le moment de raconter des histoires à nos clients (notion de récit-miroir), de les questionner sur des références cinématographiques ou culturelles (au moins les contes si le théâtre n’est pas de notre culture) : en cela les textes fondateurs sont un puissant outil de compréhension de soi et du monde : Hercule pataugeant dans la merde des écuries d’Augias ou tuant son prof de musique lorsque ce dernier change de pédagogie, Sisyphe et son rocher sans cesse à hisser en haut de la même montagne, Narcisse et son… narcissisme (trop souvent critiqué par la culture culpabilisante judéo-chrétienne).
Combien de ces images peuvent servir de référence pour questionner ? Combien de ces récits vus scolairement restent imprimés de façon moraliste en faisant office de croyances limitantes pour notre vie entière ?
Interrogeons ces textes, cette culture, renvoyons-nous les vies des héros à la figure et pleurons sur le héros que je voulais être ou le méchant que je crains de devenir… Les textes mythologiques ont déjà tout écrit, rien ne leur échappe, et le jugement n’est pas écrasant lorsque les dieux évoquent les questions de sexualité, d’inceste, de viol, de trahison, de meurtre mais aussi d’amour, d’alliances, d’amitiés, de pardon : pas de tabous ni d’évitement pour nos lointains ancêtres !
Il reste une dernière étape à franchir, peut-être : celle de proposer à nos client.e.s de faire le spectacle – déclamer, danser, chanter et exprimer avec leurs corps ces trop-pleins émotionnels confinés bien plus violemment par notre psychisme que ces quelques semaines de notre vie par les contraintes sanitaires…